
Entretien avec Arnaud Moysan
Arnaud Moysan est maitre de conférences en sciences du langage à l’Université de Bordeaux. Il a rencontré Alix sur les bancs de la fac et est l'un des piliers de notre comité scientifique !
Arnaud, tu as rapidement croisé Alix sur les bancs de la Sorbonne Nouvelle avant de passer brillamment ta thèse sur "Les pratiques langagières d'enseignants de français sur les copies d'élèves comme traces de leurs conceptions et de l'enseignement de l'écriture." Tout cela en enseignant le français dans un collège ! Et tu viens d'être nommé Maître de Conférence à l’Université de Bordeaux. Quel parcours !
(merci)
1) Peux-tu nous expliquer rapidement ce qui t’a amené à la linguistique /didactique ?
Comme tout linguiste : une passion pour le matériau langagier ! En ce sens, mon parcours chaotique d’élève puis d’étudiant est tout à fait révélateur de mon appétence pour la langue : celle-ci s’est réveillée au lycée où j’ai pu découvrir l’œuvre de Tolkien (un autre linguiste !). J’ai ensuite poursuivi mes études en littérature (bac littéraire) puis à la Sorbonne Nouvelle (licence de Lettres Modernes) où j’ai notamment été frappé par les lectures de Rabelais (un amoureux de la langue, à n’en pas douter).
Parallèlement, je crois que j’ai toujours voulu enseigner. C’est donc naturellement que je me suis tourné vers un master MEEF me préparant aux concours de l’enseignement. A l’issu de mon année de stage, j’ai réalisé un mémoire sur l’intérêt d’enseigner certains points de grammaire diachronique (ancien et moyen français) pour que les élèves appréhendent mieux le système actuel de la langue. C’était une manière pour moi d’associer linguistique et didactique.
2) Dans ta thèse, tu as notamment travaillé sur les annotations de copies, les catégories d’erreurs et la meilleure façon de formuler des retours. Peux-tu nous résumer tes recherches et les enjeux qu’elles soulèvent ?
Je vais répondre à la question à l’envers, en commençant par sa fin : c’est un enjeu très fort que la question de la correction des copies. Tout d’abord parce qu’il ne fait pas l’objet d’une formation chez les enseignants (initiale ou continue), du fait sans doute que la correction n’est pas un geste ayant fait l’objet de recherches spécifiques. Il n’a donc pas été didactisé.
Or, c’est un geste commun à tous les enseignants, ce qui constitue un vrai paradoxe ! En somme, tout le monde corrige mais personne ne sait vraiment ni comment s’y prendre, ni si ses corrections sont efficaces. Tous ces questionnements traversent d’ailleurs les enseignants, en particulier ceux qui débutent.
D’un point de vue didactique, mes travaux sont sans doute un peu décevants en ce qu’ils ne montrent pas que la correction est un geste didactique (il ne permet pas aux élèves d’acquérir des compétences scripturales et donc de progresser à l’écrit). Au contraire, j’ai pu montrer que la correction, portant majoritairement et systématiquement sur la dimension orthographique des textes, contraint les élèves à adopter une posture de « recopieur » sans réfléchir sur la langue, et encore moins sur le discours (texte).
J’ai aussi mis en évidence le fait que la correction est avant tout un outil pour l’enseignant : elle lui sert à repérer, baliser et lister les points de réussites (mais surtout les échecs) d’un devoir écrit afin d’ajuster (1) la note si le devoir est évalué, (2) le retour en classe et (3) les enseignements à venir.
Enfin, derrière le geste de correction, ce sont les conceptions de l’enseignement de l’écriture de texte que mes travaux a mis au jour. Celles-ci sont plurielles, ce qui est un problème dans le cadre de l’enseignement de l’écriture de textes au collège.
3) Quel conseil donnerais-tu aux enseignants qui, comme toi, souhaiteraient faire une thèse ?
Avoir un confort de vie qui permette de se lancer sereinement dans l’aventure. Faire une thèse est chronophage (j’ai mis 6 ans à faire la mienne, dont 3 années financées), énergivore (on vit avec son sujet 24h/24), et entraine de nombreux moments peu agréables de remises en question, d’efforts qui n’aboutissent à rien ou à peu, de tensions diverses. Cela est, pour moi, une épreuve de la vie au sens stricte : elle nous conduit à mieux nous connaitre. Néanmoins, tout ce que m’a apporté la thèse est très précieux : des connaissances et des savoir-faire si enrichissants, une capacité de travail qui m’a beaucoup aidé lorsque j’étais professeur en collège, une rigueur et une éthique professionnelles renforcées par l’univers de la recherche. Et puis c’est un travail dont on peut être fier !
4) Dans le cadre d'Écrivor, tu t'intéresses notamment à la meilleure façon de faire des retours aux élèves et aux limites de l'IA sur les compétences langagières. Peux-tu nous en dire plus sur l'importance de la formulation des retours ?
C’est, bien sûr, en lien avec mes propres travaux : la correction des copies participe aux « retours aux élèves » sur leurs textes produits. J’ai pu le constater lors d’entretiens menés avec des collégiens : ces feedbacks constituent un véritable enjeu pour eux car ils souhaitent être guidés pour progresser à l’écrit, tâche ô combien difficile pour tout apprenti-scripteur. L’IA permet des feedbacks immédiats, il semble donc important de l’outiller pour viser spécifiquement des compétences scripturales d’ordre textuel, comme la cohérence d’un texte.
En outre, l’enjeu de la compréhension de ces feedbacks est tout aussi important : il rejoint des travaux antérieurs en didactique sur la compréhension des consignes et de manière plus générale sur les pratiques langagières en usage à l’école. On le sait, la (re)formulation joue un rôle essentiel dans les apprentissages des élèves.
5) Tu es également enseignant à l’INSPE de Bordeaux. Quel(s) point(s) aimerais-tu changer dans l’enseignement de la didactique du français ?
J’aimerais beaucoup faire de la correction manuscrite des copies d’élèves un geste véritablement didactique, puis aller au-delà de ce geste en investiguant les formes orales de correction (notamment les retours en classe et les corrections collectives).
Dans la même veine, il me parait très important de changer la manière dont on traite l’écriture de textes et son enseignement. Cela passe, à mon sens, par la formation initiale et continue des enseignants en dotant ces derniers de connaissances précises en linguistique et en didactique sur l’écriture de textes. Les travaux sur le sujet ne manquent pas, mais les pratiques en classe restent parfois très éloignées des préconisations issues des recherches en didactique de l’écrit.
6) Et pour finir, un conseil lecture à partager ?
Pourquoi pas ! Mon dernier coup de cœur : L’enragé de Sorj Chalandon. Je l’ai lu en une traite tant je n’arrivais pas à décrocher de l’histoire (inspirée d’une histoire vraie !)